Enfance et déracinement: Nathalie Sarraute, Romain Gary
Reference
Degree Grantor
Université Paris 8
Abstract
Cette thèse examine les enjeux associés au déracinement culturel vécu dans l’enfance et ses effets sur la créativité dans la vie adulte. Elle applique les acquis de la psychologie interculturelle et de domaines rapprochés à l’étude de deux auteurs français d’origine juive russe, Nathalie Sarraute et Romain Gary, dont les liens à leurs cultures d’origine n’ont pas jusqu’à présent fait l’objet d’études approfondies. Notre analyse des traces dans le discours autobiographique et l’oeuvre de fiction de ces deux auteurs de la présence de leurs cultures d’origine, d’accueil et de celles de l’expérience du déracinement révèle des phénomènes analogues : comment les propos autobiographiques deviennent un moyen de positionnement au sein de la culture d’accueil ; comment leur oeuvre de fiction expose une attitude critique commune envers cette culture d’adoption ; comment les facteurs culturels influent sur la réception de leur oeuvre ; comment la réception agit sur le discours autobiographique ; comment la créativité est mise en oeuvre pour interroger les enjeux de l’identité personnelle. Cette thèse montre comment, malgré la rareté des représentations manifestes des cultures d’origine dans leur fiction et leur discours autobiographique, l’influence de la tradition littéraire russe (et de l’humour juif, dans le cas de Gary) est cruciale pour la lecture de leur oeuvre, et pour rendre compte de son caractère innovant dans le champ littéraire français : l’oeuvre de Sarraute peut être perçue comme étant écrite contre Tolstoï et comme prolongeant les explorations des relations humaines de Dostoïevski ; l’oeuvre de Gary montre sa dette envers la culture yiddish et les modèles russes de mystification dans sa création d’Émile Ajar. En outre, cette recherche découvre que certaines différences dans la démarche artistique des deux auteurs sont attribuables à des stratégies identitaires contrastées endossées comme moyen de dissimulation d’une interrogation ou d’un vide identitaire communs, causés par l’expérience traumatisante du déracinement dans l’enfance. Ces stratégies identitaires peuvent se résumer comme silence et anonymat dans le cas de Sarraute, et dissimulation et invention dans le cas de Gary, et peuvent être perçues comme les caractéristiques constantes non seulement des contenus mais aussi de la production de leur oeuvre littéraire. Notre examen de la fiction et du discours autobiographique de ces deux auteurs sur une longue période offre de nouveaux apports au domaine de la psychologie interculturelle : il confirme le caractère traumatisant du déracinement culturel vécu pendant l’enfance et ses effets persistants dans la vie adulte, la complexité des processus d’acculturation, y compris le rôle des relations de groupes, et la difficulté et l’intérêt de la représentation ou de l’expression de tels traumatismes par la créativité littéraire.
This thesis examines issues asociated with childhood cultural displacement and its effects on creativity in adult life. It applies insights from intercultural psychology and related fields to the study of two French authors of Russian Jewish origin, Nathalie Sarraute and Romain Gary, whose links to their cultures of origin have not before been the subject of sustained scholarly attention. Our investigation of the traces in these authors’ autobiographical discourse and fictional works of their cultures of origin, host cultures, and of the experience of displacement, reveals similar patterns: how their autobiographical statements become a means of positioning themselves within French society; how their fiction displays a common critical stance towards their host cultures; how cultural factors impact on the reception of literary works; how reception shapes autobiographical discourse; and how creativity is used to explore questions of personal identity. This thesis shows that while manifest representations of Sarraute and Gary’s cultures of origin may be scarce in their fiction and autobiographical discourse, the influence of the Russian literary tradition (and of Jewish humour, in the case of Gary) is crucial in understanding their work, and in explaining its innovative contribution to French letters: Sarraute’s work can be seen as writing against Tolstoy, and continuing Dostoevsky’s explorations of power in human relationships; Gary’s work shows its debt to Yiddish culture and to Russian models of mystification in his creation of the heteronym Émile Ajar. In addition, this research shows that many of the differences between the two writers can be ascribed to contrasting identity strategies, taken up as a means of dissimulating a 6 common questioning or lack of personal identity, which is caused by the traumatic early experience of cultural displacement. These identity strategies can be summarized as silence and anonymity in the case of Sarraute, and dissimulation and invention in the case of Gary, and can be seen as consistent features not only of the content but also of the production of their literary works. The examination of these authors’ fiction and autobiographical discourse over the span of their careers offers new understanding to the field of intercultural psychology: it shows the traumatic nature of childhood cultural displacement and its lasting effects on adult life, the complexity of processes of acculturation, including the role of group relationships, and the challenges and benefits of representing or expressing such trauma through literary creativity.